15 novembre 1931
15 novembre 1931
Note de l'éditeur de la revue: "Ces poèmes font partie d'un recueil Le Même et l'Autre à paraître prochainement aux Editions du Sagittaire."
Grande lunette
Nous regardons de près la lune blanche et sèche,
Ses trous de mort, son tour que le soleil ébrèche
Et l'hexagone, et le cratère et le mur droit
Miroir empli de noms célèbres et de froid!
Nous voulons voir aussi les tremblantes planètes
Et leurs pures couleurs danser dans les lunettes.
Sous la coupole que crève un long appareil
Pourrons-nous contempler Saturne et le Soleil?
Quel désir qu'à travers le ciel, devant nous glisse
La spirale aux cheveux vagues de Bérénice...
Nous sommes les chercheurs des comètes du Roi!
Le ciel clair obéit à la plus simple loi.
Loin de nous, vainement le temps brasse et compose
Toutes les choses qui sont autour d'une chose...
Le malade
Dans la haute maison que ronge au sol le nitre,
Brille entre les rideaux le tableau de la vitre:
Les cimes et les toits, le paysage gris
Et gris que touche enfin la rumeur de Paris.
Or, de sa chambre il voit flexibles et recrues
Les branches du platane ombrant le haut des rues
Il voit cela du lit où son corps lui fait mal
Mais il connaît ce ciel, trouve le jour normal.
Le visage tourné vers la froide fenêtre,
Et s'accoudant au drap blanc d'électricité,
Il est assez semblable à celui qu'il croit être
Dans la fièvre, le soir et la grise cité,
- Car, volontairement, il voit fuir l'existence
Comme un malade à l'oeil vitreux qui souffre et pense...
Connaissance du décor
Il aime regarder la nuit les palais noirs,
Les jardins, la rivière aux bateaux sans espoirs.
Il heurte les passants légers. Une vitrine
Bleue à l'angle du quai prestement s'illumine
Et donne aux arbres clairs d'exotiques reflets.
Tandis qu'il réfléchit devant l'obscur palais
Epiant aux trottoirs un pas qui glisse ou frappe
Une tristesse vague, enfantine, s'échappe
Des plans divers du paysage accoutumé,
De la place aux jets d'eaux, du long fleuve enfumé
Et son esprit s'emplit de cette froide absence
Qu'accorde à l'âme un lieu dont elle a connaissance.
L'atlas de la nuit
Images du ciel noir, spirales lumineuses,
Soleils sources, appel du Dieu des nébuleuses!
Par le carreau brisé, la nuit vient jusqu'à nous...
Je regarde l'atlas ouvert sur mes genoux.
Se haussant aux miroirs, se penchant suer les signes,
Lui joint les points du ciel et du temps par des lignes,
Ou, las de calculer l'univers deviné,
Jetant le plan que son esprit s'est dessiné,
Il se lève et va voir aux fenêtres la rue
Semblable et les bateaux, la vapeur disparue,
Dans les arbres fendus, les mêmes croisements...
Et les papiers roulés, les pesants instruments
Reposent sur le meuble et sur la table basse.
Le livre se referme et j'entends fuir les trains,
Les étoiles, tandis qu'aux carreaux indistincts
Cherchant son regard qui rend toute chose étrange,
Il reste, guette, attend que l'aube enfin le change...
Il lave son visage
Un express disparaît sous les grands arcs de fer...
Lui lave son visage en regardant la mer,
Guette l'écume aux eaux mêlée en blanches tresses
Et retrouve soudain ces étranges détresses
Du ciel, de l'eau, des trains, du miroir inconnu
Où la chambre apparaît autour d'un torse nu.
Il revêt son peignoir et comme une réplique,
Cherche aux bruits sourds un geste, un pas qui les explique.
Monotone, une voix derrière les cloisons,
Le laisse perplexe: est-un jeu, des oraisons?
Il ferme la fenêtre, et presse quelque éponge
Marine entre ses mains, tel un objet de songe,
Où reste et d'où parfois s'enfuit toute la mer
Triste, immense, lointaine et de sel brûlant l'air...
Convergence
De son lit, elle voit au verre de la glace,
La grande alcôve rose où son bras nu s'efface.
Elle s'effraye aux murs des tableaux qu'il y a
Et croit sentir les fleurs qu'hier soir on oublia.
Un livre étale seul sa tristesse et son ordre
Sur le drap dont les plis au parquet se vont tordre.
Dans la maison, calculateur insomnieux,
Quel être, en cet instant, provoque, observe et trace
Au point de convergence exacte de ses yeux
Le contour d'un visage étranger qui grimace,
Pendant qu'elle s'attache à suspendre le bruit
Que les geais ou les chiens rageurs font dans la nuit?
Voyage
Près du chameau que trouble un rêve de couleurs,
Les vaches et l'ânon broutent le champ de fleurs
Joyeuses dont au vent désertique les teintes
Frissonnent jusqu'au pied des montagnes éteintes.
Une ombre de nuage avance et glisse au bord
Du plateau sur le flanc gonflé d'un cheval mort.
Les filles des tribus, ornant ces huttes noires
Où les Peuples du Monde attendent leurs Histoires
Vers l'étranger qui songe et choisit ces chemins
Lèvent leurs yeux chargés de vieux secrets humains.
Il s'arrête. Cuivrant l'un et l'autre visages
Derrière le camp noir monte un soleil sans âges.
Un soleil dans l'esprit lucide s'élevant
Retouche le pays que traverse le vent,
Dore un temple futur, de grands palais pleins d'ombre
A la place des chiens qu'un jeune enfant dénombre,
Puis, largement, rayonne aux yeux qui, ce matin,
Voudraient en d'autres yeux lire un autre destin,
Et par delà les siècles forts, la Grèce et Rome
Joint ce regard qu'échange ici l'Homme avec l'Homme.
Un nuage obscurcit enfin l'étalon mort,
Pensif, le voyageur s'éloigne vers le nord,
Et près des chamelons qu'effleure un souffle aride
Les filles voient fleurir l'immense palais vide
Pendant que lui s'exerce à conserve intacts
Une fièvre, une énigme, un paysage exacts.
Il s'éveille
Derrière les rideaux et la doublure écrue
Les camions lourds fuient dans le fond de la rue
Cependant qu'à l'étage, il s'éveille au milieu
Du divan large où la poupée en satin bleu
Renversée au coussin, de ses yeux de verre ivres,
Regardait fixement la lumière et les livres.
Il écoute, la chair tremblante de sommeil,
Voit les plis et les creux aux rideaux de soleil,
Les glaces, les grands murs, la fille en porcelaine,
Tous les objets auxquels s'oppose encore à peine
Dans l'esprit plein de rêve et d'étranges efforts
Le pur miroir secret des noms et des rapports.
Il est seul. Les rideaux tirés sur les fenêtres
Lui cachent à jamais les nuages, les êtres,
Les palais sur la place... Un doigt au bleu satin
Il hésite à briser quelque songe incertain.
Mille images en lui curieusement jointes
Voilent le mur où brille un bouquet de fleurs peintes.
Il faut déjà recommencer d'aimer la mort
Puisqu'il s'éveille enfin, dans le fond du décor...
Lecture
Dans le miroir, il voit l'arbre au papier du mur
Portant ses rouges fleurs jusqu'au grand plafond pur.
Les mots chanteurs d'un livre ouvrant la bouche sombre,
Il voit l'enfant lointaine au fond de ce miroir.
La glace a divisé deux parts exactes d'ombre,
De formes, de couleurs, et de rêve, ce soir.
Suspendue au ruban, l'inflorescence roide
Des cristaux éteints trempe en cette chambre froide.
Il écoute la fille étrangère qui lit,
Lui fait signe au miroir avant qu'elle se taise,
Et sache que les mots, parfois, à son esprit
Donnent le brusque et triste éclat d'une synthèse.
Le Pont
De l'arche suspendue où l'ignore la foule
Il voit fuir, vaste, l'eau que le vent fend et roule
Et penché sur le bord de fer entrelacé
Il respire ici seul le Dimanche glacé.
Autour de lui, la pluie et les lanternes fument;
L'air fade de la fête et du fleuve, que hument
Ses narines, l'émeut...Par quel cheminement
La triste odeur atteint, force l'entendement?
Une femme s'arrête, observe la nuit rouge
Entre les tours - puis le regarde, attend qu'il bouge.
Les voitures, sur lui, jettent leur brusque éclat,
Il se courbe vers l'eau que hausse un long mur plat.
Et ne se lasse point de percevoir la vague,
L'odeur, ce jour précis dans un univers vague.
Il songe, il veut enfin qu'un soir de vaste ennui
Ralentisse sa vie et prolonge pour lui
L'écoulement des gens et des cycles sans nombre
Qui descendent aux quais sur l'arc de métal sombre...
Assis au banc de bois
Assis au banc de bois, dans le jardin marin
Où se prolonge en rêve un passage de train,
Il aime auprès de lui que pour une enfant lasse
Cette nourrice au bonnet noir chante à voix basse.
Et quand la frêle fille enfin cède au sommeil
Ils regardent tous deux dans le ciel le soleil,
Vers lequel pesamment la terre qui les porte
Monte avec la mer verte où se tourne quelque morte.
Puis, ce refrain l'obsède: il lui semble parfois
Que subissant la vie, il va , de voix en voix...
La berceuse s'achève. Au banc désert, sans geste,
Il n'est plus dans le soir qu'un promeneur qui reste.
Son esprit cependant s'exerce en l'abandon
A recevoir de soi le plus singulier don.
Il accepte l'ennui, le froid, l'ombre, l'absence
Et d'un état nouveau tente l'expérience,
Au fond du jardin vague élevé sur la mer,
Entre la route, l'herbe et les ronces de fer.
Discours
Une tapisserie aux écussons du Roi
Bleuit la salle immense où je t'écoute, moi,
Parmi la foule assise et qui s'emplit du songe
Que ta parole incessamment noue et prolonge.
Mais toi, penché, surpris au seul son de ta voix
D'être cette rigueur, cette absence à la fois,
Tandis que tu nous rends semblables à toi-même
Et que notre raison s'ingénie à l'extrême,
Déjà, devant ces gens pensifs tu sens au coeur
Quelque rupture étrange, un trouble, une douleur
Qui de nouveau te font toucher soudain la vie
Et t'annoncent qu'en toi l'esprit se modifie,
Se compose et devient un autre entre ces murs
Où fuit le songe exact des raisonnements purs...
J'entends la mer qui monte
J'entends la mer qui monte et je dors à demi
Dans la chambre d'hôtel où résonnent le mi
D'un lied au piano, la vaisselle aux cuisines
Et frappant le talus le sifflet des machines.
Les pêcheurs sont au large, ils jettent l'hameçon
Et moi qu'endort l'odeur d'iode et de poisson
Je fais ce rêve amer d'une petite fille
Qui jamais ne se lève et jamais ne s'habille.
Ou parfois je m'éveille et veux partir aussi
Comme d'autres lucide et sur ces vagues-ci.
Puis une torpeur vient, vaguement me dédouble
La maison se remplit de cris, de coups, de trouble.
Autour des murs poudreux où descend le talus
De trèfle froid, le ciel peut-être ne luit plus
Et brisant le sommeil, je pleure de malaise
Quand mon oeil s'ouvre enfin sur la claire falaise,
Et qu'assise en mon lit j'écoute et je comprends
Les propos échangés sous les verts contrevents.
Il rêve de penser dans la chambre là-bas
Entre l'arbre, il regarde un toit, l'ardoise mauve
Que perce une fenêtre étroite à volets plats.
Il rêve de penser dans la chambre là-bas,
Tandis qu'ici se brouille une chaise en l'alcôve
Où son corps est plié, la bouche aux doigts mimant
Des mots d'un livre, à peine encor le mouvement...
Il regarde un morceau de la maison de la rue,
Telle croisée au fond d'une feuillaison drue.
Il aimerait ouvrir cette chambre, le soir,
Toucher les murs, la glace, à la table s'asseoir,
Contempler les jardins, l'autre toit, et peut-être
Le ciel verdâtre en se penchant par la fenêtre,
Nouer avec les Cieux d'absurdes liaisons,
Méditer et pleurer dans toutes les maisons
Qu'une voiture ébranle ou qu'une fille longe
Et commence ailleurs, dans une pièce, un songe
En ayant d'autres murs pour référentiel
Ou les astres lointains et noirs d'un autre ciel...
Semblable à soi
Il rêve à ces forêts lumineuses, tranquilles
Qu'au-dessus de lui voient les oiseaux immobiles,
Il rêve à la vallée, à la colline, aux eaux
A ce pays entier que voient les clairs oiseaux.
Sous les chênes pressés, écrasant l'ombre, il pense
Que chacun rêve ainsi d'un paysage immense
Plein de vent, de bleu, d'or, où se serait inscrit,
Jusqu'à ce jour, le changement de son esprit...
Il songe et brusquement s'étonne qu'identique
Ce désir l'ait surpris dans le parc nostalgique
Jadis, lorsqu'il errait entre ces jardins verts
Le front lisse et les yeux stupidement ouverts...
Chambre louée
Devant la table en bois de la chambre qu'on loue,
Vers sa glace penchée elle avive sa joue,
Ecrase un rose gras, puis songe à qui ferait
Entre ces murs quelque travail grave et secret
Tirant de la douleur qu'il a d'être soi-même,
L'image, le calcul, la strophe ou le système.
Voici les pots de fleurs qu'alignés au rebord
De la fenêtre il verrait luire au ciel du Nord;
Le vent qu'il entendrait en ce jour de septembre
Bourdonne et se divise à l'angle de la chambre,
Où, peinte, elle aperçoit au miroir réfléchis
Le lit clair en désordre et les tapis blanchis.
Près du cercle d'argent, approchant son visage
Elle touche un morceau de la chambre du sage,
Le papier décollé, l'armoire et le matin
Pâle, morbide... Elle s'absorbe en ce destin,
Puis rougissant rêveusement de fard sa joue,
Songe à reprendre enfin le rôle qu'elle joue.
Opéra
A M. Edmond Teste.
Immobile au dernier étage creusé d'or,
Mêlant musique et gens dans une nuit rougeâtre
Il écoute mourir au fond du vieux décor
D'obscurs Tristans assis aux gradins du théâtre.
D'en haut, pour échapper au mythe de la mort
Il se penche et veut voir sous les filles de plâtre
La scène, un artifice... Il n'entend que plus fort
Le chant néfaste et pur de la flûte du pâtre...
A son esprit enfin les cuivres, le velours
Le grand opéra triste évoquent d'autres jours.
Il se souvient qu'il fut ici songeur étrange.
Il s'apaise et déjà compose un ballet clair
Où mille nymphes voient des murs croître dans l'air
Et montrent, d'un bras nu, la loge rouge à frange...
Fin